SLKTR01 • 06/2014

Alex Crétey Systermans

L

a photographie d’Alex Crétey Systermans ne fait pas semblant de ne pas vouloir nous plaire. C’est d’abord une expérience esthétique. Une partie de ce que véhiculent ses images passe par la finesse des couleurs et du trait et par elle seule. Puis viennent les thèmes, et avec eux la césure entre projets personnels et éditoriaux. D’un côté il s’intéresse à ses proches (Familiar), déambule (Presqu’île, The Month Of Ghosts) et prend son temps (Slowdown), de l’autre il voyage, suit un itinéraire et tient des délais. Cette inversion de perspective crée une dramaturgie. On ne voit plus ses déplacements aux antipodes de la même façon si des scènes de la vie familiale nous reviennent, et on regarde ces dernières différemment si elles évoquent un retour ou l’imminence d’un départ.

Bien qu’il vienne des arts plastiques (il utilisait la photographie pour ses recherches graphiques avant de l’adopter pleinement), son travail a quelque chose de littéraire. Si on classait ses séquences par ordre chronologique, on parlerait de roman autobiographique. L’histoire d’une double vie qui devient le matériau d’une oeuvre. La séparation d’usage entre art et documentaire ne résiste pas à l’homogénéité du style et à la continuité du regard. Le familier et l’exotique sont les deux pôles entre lesquels son talent, loin de s’éparpiller ou de se dédire, s’accomplit.

T

he photography of Alex Crétey Systermans is primarily an aesthetic experience. A great deal of information is conveyed by the subtlety of the colour and the line and by those alone. Then there are the themes, and with them the divide between personal and editorial work. On one side he portrays his family (Familiar), he wanders (Presqu’île, The Month of Ghosts), he takes his time (Slowdown), on the other he travels, follows an itinerary and keeps to deadlines. This change of perspective creates drama. We no longer see his travels in the antipodes in the same light when we think back to the scenes of family life, and we look at those scenes differently when they portray a return or the imminence of departure.

Although he comes from a fine arts background (he started using photography for his visual research before taking it up full time), his work has a literary quality. If you were to arrange his sequences in chronological order, you would be looking at an autobiographical novel – the story of a double life that becomes the raw material for a work of art. The dividing line between personal work and documentary is overcome by the homogeneity of style and the continuity of viewpoint. The familiar and the exotic are the two boundaries between which his talent, rather than being dispersed or failing to fulfil itself, is revealed.

Bio

Alex Crétey Systermans est un photographe d’art et éditorial français, diplômé de l’Ecole Régionale des Beaux-Arts de Rennes et de la Villa Arson de Nice. Il a exposé en France, en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis. Il est membre du collectif international de photographes Strange.rs et contribue au magazine Cult. Il a publié de nombreux reportages, notamment dans M. le Magazine du Monde, A/R Magazine, National Geographic, le New York Times et le Wall Street Journal. Il est lauréat du prix SFR Jeunes Talents 2013 – Paris Photo.

Alex Crétey Systermans is a French fine art and editorial photographer who graduated from the Ecole Régionale des Beaux-Arts in Rennes and the Villa Arson in Nice. He has exhibited in France, Great Britain and the United States. He is a member of Strange.rs international photography collective and a contributor to Cult Magazine. He has published numerous stories, including in ‘M.’, the magazine supplement to Le Monde, A/R Magazine, National Geographic, The New York Times and The Wall Street Journal. He is the prize-winner of the SFR Jeunes Talents award 2013 – Paris Photo.

Portraits

Mélodie, Denneville

Mélodie

Mélodie, Denneville (2010) apparait dans Slowdown. C’est une de mes photos préférées, et aussi une des premières que j’ai vue en ligne. Elle est assez représentative de sa palette de couleurs et de sa façon de jouer avec les codes du classicisme. La composition fait penser à Rineke Dijkstra, donc à Botticelli. C’est une scène à la fois extrêmement familière et nimbée d’étrangeté, la direction du regard de Mélodie y contribuant largement. Mini-déesse aussi bleue et blonde que le ciel et le sable à l’arrière-plan, la jeune fille aux paupières rondes intemporelles, cependant chaussée de tongues et portant des bracelets fantaisie bien de son époque, semble hésiter à monter les marches qui séparent le monde marin d’une réalité plus prosaïque. Il y a bien une référence picturale, mais qui tient plus du trompe-l’oeil que de la relecture. Dans les faits, le temps se couvre et Mélodie rentre de la plage. C’est la photo qui est surnaturelle.

Mélodie, Denneville (2010) appears in Slowdown. It’s one of my favourite photos and one of the first that I saw online. It is fairly representative of his colour palette and the way he plays with the codes of classicism. The composition reminds me of Rineke Dijkstra and so of Botticelli too. It is a scene that is both extremely familiar and shrouded in mystery, the direction of Mélodie’s gaze being the major contributor to this. This miniature goddess who is as blue and blond as the sky and sand behind her, whose heavy eyelids have a timeless appearance, is nevertheless wearing flip-flops and friendship bracelets that are clearly of her time and she seems to be hesitating over whether to climb the steps that lead from the world of the sea to a more prosaic reality. There is clearly a visual reference here, but it is more a trompe-l’oeil than a reinterpretation. Actually, the sky has clouded over and Mélodie is returning from the beach. It is the photo that is supernatural.

Palette

Je me suis amusé à prélever des couleurs dans les photos d’Alex Crétey Systermans. Impossible de ne pas évoquer sa palette, une gamme de bleus, de verts et de bruns luminescents. Je soupçonne une certaine presqu’île de Normandie d’en être la matrice. La lumière est spéciale là-bas, demandez aux Impressionnistes ! Alex Crétey Systermans a très probablement grandi dans l’admiration de cette lumière. Comme le montrent les montages qui suivent, il l’a intériorisée au point de pouvoir l’emporter partout avec lui.

I have enjoyed studying the colours in Alex Crétey Systermans’ photography. It is impossible not to talk about his palette, a range of luminescent blues, greens and browns. I suspect a certain Normandy peninsula of being the inspiration for this. The light is special over there, just ask the Impressionists! Alex Crétey Systermans probably grew up adoring that light. As the following montages demonstrate, he has internalised it to a point that he can carry it with him wherever he goes.

Normandie #A5AE6E / Taïwan #ACBE77

Normandie #BBB4A4 / Birmanie #C2B9A2

Normandie #3A3B5B / Suisse #3F4066

Normandie #8EABC8 / Croatie #90B2D1

Normandie #A86400 / A bord de l’Orient-Express #AD6700

Paysages

A bord de l’Orient-Express

Toute image associant intérieur et extérieur est mélancolique. On n’y peut rien c’est comme ça. Tenez vous immobile derrière une vitre quelques minutes, vous aurez l’air triste. Cette photo n’échappe pas à la règle. On est à bord de l’Orient-Express. A l’intérieur, le compartiment tout en boiseries et lourds drapés. A l’extérieur, une jungle sud-asiatique. On n’a pas vraiment envie de plaindre Alex Crétey Systermans sur ce coup. Pourtant, la mélancolie est là et elle est puissante. Je pense qu’au moment où il prenait cette photo, il réalisait la chance qu’il avait et ses proches lui manquaient. Elle leur est adressée. C’est un paradoxe que ceux qui ont des attaches et sont amenés à voyager seul connaissent : plus l’échappée est belle, plus on regrette de ne pas pouvoir la partager. Alex Crétey Systermans dépeint merveilleusement ce sentiment, sans que l’on sache si celui-ci est la cause ou la conséquence du déclenchement.

On board the Orient-Express

Every image that links the interior with the exterior is melancholy. There’s nothing that can be done, that’s just the way things are. If you stand motionless behind a window for a few minutes, you will appear sad. This photo is no exception to the rule. We are aboard the Orient Express. Inside the carriage, all is woodwork and heavy curtains, outside is a South Asian jungle. We are not going to feel sorry for Alex Crétey Systermans on this one, yet there is melancholy and it is very powerful. I think that at the moment he was taking this photograph he realised how lucky he was and how much he was missing his family. The picture is for them. It is a paradox that those who have ties but may need to travel alone know: the better the getaway, the more one wishes that it could be shared. Alex Crétey Systermans portrays this feeling masterfully without the viewer knowing whether that is the cause or the consequence of the shutter release.

Un bureau

Cette photo d’un bureau est extraite de Familiar. C’est le bureau de son père. On se tient juste derrière celui qui normalement est assis là, on pourrait poser la main sur l’absence de son épaule. L’ancien côtoie le fonctionnel sans cérémonie, le meuble ploie, les livres se tiennent les uns aux autres comme ils peuvent, s’il y a un ordre, il est attachant. Rien ne ressemble plus à un portrait que la photo d’une pièce pleine de souvenirs. Mais ce qui me frappe, ce sont toutes ces choses qui se rapportent au voyage et à la famille, les thèmes du fils dans les affaires du père. A commencer par les images dans l’image : celle d’un bateau d’un côté, celles des êtres chers à mi-hauteur de l’autre. Ensuite il y a les cadrans, le mot « captain » sur le tiroir, l’exiguïté, on se croirait dans une cabine. Soudain, le familier et l’exotique ne sont plus des concepts, ils s’inscrivent au contraire dans une filiation, le récit le plus élémentaire qui soit, et dont cette photo est une formidable mise en abyme. Elle suggère, par une juxtaposition très proustienne de temps et de points de vue, la naissance d’une vocation.

The desk

This photograph of a desk is taken from Familiar. It’s his father’s desk. We see it from just behind the person who is usually seated there and we could place a hand on the absence of his shoulder. Antiques sit cheek by jowl with the functional without ceremony, the desk is sagging, the books are placed higgledy-piggledy on the shelf and if there is a kind of order, it’s touching. Nothing looks more like a portrait than a photograph of a room full of memories. However, what strikes me is all the things that relate to travel and to family, the son’s themes amongst the father’s stuff. Starting with the photographs within the photograph: that of a boat on one side, those of loved ones pinned one on top of another. Then there are the navigational instruments, the word ‘captain’ on the drawer and it’s so cramped that it feels like a cabin. Suddenly the familiar and the exotic are no longer concepts, on the contrary they inscribe themselves in a filiation, the most basic narrative, of which this photo is a great mise en abyme. It uses a very Proustian juxtaposition of time and artistic approach to suggest the birth of a vocation.

Egalement disponible/Also available

Selektor Magazine N°1

Alex Crétey Systermans

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